Le "Dojang" en plein air
Le temps : mercredi 13 avril. Le lieu : les montagnes autour de Gyeongju, Corée du Sud
17h00, arrivé à Golgulsa après un voyage en solitaire sans incident, je règle les questions administratives, je visite ma chambrée et, dès 17h30, je prend mon premier dîner (uniquement du riz et des légumes et une soupe, en self service). Je suis content d'être arrivé, Gyeongju est magnifique en cette période printanière où éclosent les cerisiers. Le temple, dans son écrin de montagnes, est tout en longueur et en montée. Les sentiments qui me traversent me rappellent étrangement mon arrivée en internat durant mon adolescence.
A 18h00, on rentre dans le vif du sujet avec une orientation où l'on me montre les trois saluts que tout Bouddhiste se doit de connaître. On poursuit dans la demi-heure qui suit avec les chants du soir dans le Dojang. Puis commence le cours de Seonmudo (선무도, 禪武道), l'un des objets de mon séjour, jusqu'à 20h30. Je descend du Dojang et remonte vers le dortoir, prend une douche, écrit un peu mon journal de bord et m'endors sans plus de formalité. Mon premier jour en temple s'achève, dans un silence assourdissant et reposant à la fois : silence extérieur et silence intérieur.
L'emploi du temps des jours suivants sera approximativement toujours le même :
- 04h00 : lever au son de la cloche et des chants bouddhistes. Dehors, c'est encore la nuit, tout est silencieux, personne n'émet une parole. Chaque nuit de mon séjour, j'ai eu un sommeil agité (ronflements, chaleur du sol, vents violents) mais chaque réveil s'est fait naturellement, sans me forcer, puis au cours de la journée, j'ai rarement ressenti l'envie de dormir. Dès le réveil, dans un demi-sommeil, il faut monter une pente vraiment raide pour atteindre le temple : un travail des cuisses à cette heure-là, ça met en forme.
- 04h30 : chants du matin (Saebyeok yebul, 새벽 예불, 새벽 禮佛) : pendant que les moines chantent d'une voix gutturale sur le rythme lancinant de percussions sur un bol en bois, il s'agit pour les laics tels que moi de faire des génuflexions et des prosternations. Le recueillement est total et l'impression d'être hors du temps se fait sentir vivement.
- 05h00 : méditation assise (Jwaseon, 좌선, 坐禪), puis marche méditative (Haengseon, 행선, 行禪) : concernant la méditation assise, après un petit étirement de la colonne en position assise (sangche iwan dongjak, 상체 이완 동작), nous restons simplement assis, les yeux dans le vide. Dans les premiers temps, je me concentre sur la posture correcte, qui correspond à un demi-lotus : position de mon coccyx, reins, omoplates rapprochées, épaules basses, effets de la pesanteur sur chaque membre, cou tiré vers le haut. Puis survient rapidement la vision tunnel et les autres sens, certainement libérés de la tyrannie des yeux, se développent. Une écoute vers mon intérieur et aussi vers l'extérieur se fait plus fine (ah, le premier chant des oiseaux à l'aube ! ou le ronflement d'un chien, tel le petit singe de la fable qu'il faut ignorer). Les coupures mentales se font plus nombreuses, le calme de l'esprit s'installe progressivement. La marche méditative, par son aspect dynamique, me semble moins appropriée que la méditation assise. Reste que c'est un plaisir de descendre la montagne en cette heure matinale, pleine de senteurs et de couleurs.
- 06h20 : petit-déjeuner
- 08h30 : entraînement au Seonmudo
- 10h10 : marche en montagne ou 108 génuflexions, et thé-discussion : menée par un moine, la marche en montagne est très dynamique. Le terrain pierreux un peu meuble et très en pente est un défi permanent pour l'équilibre, pour les chevilles et pour les cuisses. Mais c'est aussi un moyen d'apprendre un peu sur les plantes de montagne ou sur le folklore, tant le moine qui nous promène est prolyxe. A l'arrivée, le thé est une bénédiction, et aussi un autre moment de discussion informelle où l'on peut apprendre beaucoup sur le Bouddhisme ou sur le Seonmudo.
- 11h50 : déjeuner
- 14h00 : tir à l'arc (Gukgung, 국궁, 國弓) ou méditation assise : l'entraînement au tir à l'arc, bien qu'un peu surprenant au sein d'un temple, est un excellent moment de concentration et de détente. La prise en main de l'arc est difficile et la torsion de la corde contraignante pour le pouce. Je réussis quelques tirs bien ciblés, mais il y a beaucoup de déchets tout de même.
- 15h00 : travail communautaire : cela consiste à aider à l'entretien du temple. Un jour, c'est ramassage des détritus (les cigarettes des touristes !), un autre jour c'est le remplacement des feuilles sur les portes et les fenêtres des chambres (oui, il n'y a pas de verre, tous les panneaux mobiles sont couverts d'un papier huilé très isolant). Tout cela se passe dans la bonne humeur !
- 17h30 : dîner
- 18h30 : chants du soir (Jeonyeok yebul, 저녁 예불, 저녁 禮佛) : les chants du soir se déroulent presqu'à l'identique de ceux du matin, hormis qu'à un moment,il y a percussions sur un tambour géant avec des rythmes très dynamiques.
- 19h00 : entraînement au Seonmudo
- 22h00 : extinction des lumières : une douche, on discute un peu avec les roommates, j'écris et lis un peu, et le sommeil vient très vite.
Les cours de Seonmudo sont très variables dans leur exécution, mais globalement, ceux du matin étaient plus axés sur le Yoga (Oche yubeop, 오체 유법, 五體 柔法), sur le Gigong (Gigong animalier, Yeongdong ipgwan, 영동 입관, 靈動 立觀 ; Gigong debout, Yeongjeong ipgwan, 영정 입관, 靈靜 立觀) et la respiration assise (Yeongjeong jwagwan, 영정 좌관, 靈靜 坐觀) ; et ceux du soir étaient plus dynamiques et physiques, plus martiaux : des longueurs de marches, de sauts, des coups de pieds, des coups de paume, des positions du cavalier pendant des minutes, des sorties de force, ... Ces derniers étaient très physiques et peu techniques. Evidemment, je n'avais pas le niveau physique : endurance, souplesse, détente, ... Les moines, entraînés quotidiennement, ont une condition physique et technique impressionnante et enviable : puissants, bondissants, résistants, tout ce qui me manque !
En conclusion, j'ai beaucoup aimé ce temple-stay. Le cadre, la vie séclusive reposante, l'immersion dans le quotidien des moines, le rythme bien pensé du programme quotidien, la gentillesse des moines, tout est fait pour se concentrer uniquement sur la pratique de la méditation et du Seonmudo. Le programme de ce dernier, entre Gigong, yoga, respiration et art martial, est très complet et très progressif, donc adapté à un large public. La partie martiale, axée pieds-poings au moins au niveau débutant, est probablement très externe et très physique. Bien que très intéressante, vu mon âge et mes axes de recherche, c'est la partie qui m'a, paradoxalement, le moins intéressée. Autre point "négatif" de ce séjour, la partie concernant le bouddhisme consistait uniquement en la pratique de la méditation assise et aux prières. Aucune leçon théorique sur ce qu'est le Bouddhisme, ses fondamentaux, sur ses doctrines n'a été tenue et on repart presqu'aussi ignorant qu'on y est entré si on ne s'est pas renseigné soi-même au travers de ses lectures.
J'aurais donc voulu en savoir un peu plus sur ce qu'est le Bouddhisme vu à travers le prisme des moines, mais hormis ce défaut, le reste était parfait, dépassant même mes attentes sur certains points. Je recommande ce genre de retraite à tout le monde, car on en ressort avec un mental rafraîchi, permettant de reprendre sa vie quotidienne sur un nouveau pied.
合掌
Hapjang (salut mains jointes)