Armes coréennes : influences et intégrations

David CONSTANT Par Le 18/10/2016 0

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(article originalement paru dans le magazine Dragon Hors Série Aikidô d'avril 2016. Il a été légèrement modifié, notamment par l'utilisation exclusive de termes coréens)
 

fantassin coréenFantassin et son armement, époque Joseon

 

De par sa position géographique, la péninsule coréenne a été tour à tour confluent et affluent des pays voisins que sont la Mongolie, la Chine et le Japon. Cela est vrai en termes religieux, culturels, politiques, scientifiques et commerciaux. C’est évidemment aussi le cas concernant le domaine militaire et, plus généralement, le domaine des armes.

Les armes coréennes sont un univers en soi, une subculture foisonnante avec ses ramifications artisanales et artistiques, avec ses évolutions et ses ruptures historiques, avec un abord philosophique (voire religieux) contrarié, avec ses spécificités techniques et tactiques, etc. Chacune d’elles possède aussi ses caractéristiques, ses principes propres, son cadre tactique (angles-distances-cibles-intentions), …

Aborder tous ces aspects dans le cadre d’un seul article relève donc de la gageure. Aussi, bien que j’aurais aimé développer ici la partie technique de chaque arme (car il est faux de dire qu’une arme n’est qu’une simple extension des techniques à mains nues), cet article se restreindra à brosser le point de vue culturel des armes en Corée : les influences, un historique succinct et la place des armes au sein de la société coréenne. Puis je ferai un focus sur les armes du Hapgido et leur évolution.

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Une péninsule ouverte aux influences

 

2 2KIM Hongdo, « le tir à l’arc » (활쏘기)

 

La péninsule coréenne se situe donc au carrefour de plusieurs grands pays. De ce fait, au gré des flux migratoires, des invasions, des missions diplomatiques et commerciales, les échanges ont été nombreux au cours des siècles, notamment jusqu’au début du 17ème siècle où la Corée deviendra un Royaume Ermite.

Peuple ayant probablement migré depuis le Sud-Est de la Sibérie, les proto-Coréens sont issus d’une culture nomade vivant de chasse et de cueillette. La chasse, notamment, influera leurs tactiques de combat fondées sur les déplacements légers et rapides et sur les attaques à distance. Peuple de cavaliers, ils étaient réputés pour leur adresse au tir à l’arc, notamment sur un cheval lancé à pleine vitesse. En conséquence, le combat rapproché était secondaire et ils développèrent peu les techniques d’armes de choc, celles-ci ne servant que pour la « finition ». De leurs racines mongoles, ils héritèrent aussi de la lutte, lutte qui évoluera vers le Ssireum (씨름), la lutte coréenne à la culotte pratiquée encore de nos jours.

La deuxième grande source militaire vient évidemment de la Chine, pays à la civilisation la plus avancée à l’époque pré-chrétienne. Les Coréens développèrent leurs institutions, leurs organisations, leur culture sur le modèle de leurs voisins (la Chine n’étant pas encore unifiée au moment). Ils modernisèrent aussi leur artisanat, notamment le travail du fer. De pair, leurs tactiques militaires évoluèrent par l’adjonction des techniques chinoises d’infanterie, introduisant des troupes de choc utilisant lances et épées. Plus tard, à la fin du XIVème siècle, la chute des Song du Sud entraina un afflux massif de Chinois vers la Corée, dont des généraux qui apportèrent leurs armes et techniques les plus récentes.

Concernant le Japon, comme je l’ai décrit dans un article précédent, c’est la Corée qui influença dans un premier temps ce qui allait devenir le Yamato. Cependant, dû aux tentatives d’invasion qui eurent lieu à la fin du 16ème siècle par TOYOTOMI Hideyoshi (豊臣秀吉), les Coréens se résolurent à connaître leur ennemi et intégrèrent l’étude d’écoles de sabre japonais dans leur cursus militaire. La deuxième vague importante eut lieu à l’occasion de l’occupation japonaise durant la première moitié du 20ème siècle. A ce moment-là furent introduits les Budō japonais via les succursales du Butokukai (l’organisation officielle de collecte et de propagation des arts martiaux japonais, 徳会) en Corée, notamment le Kendô.

 

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SHIN Yunbok, « danse des deux sabres » (쌍검대무)

 

Une évolution au long de l’Histoire et dans la Société

 

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Archer et ses armes, époque Joseon

 

D’un point de vue historique, on peut distinguer grossièrement 3 périodes importantes pour les armes coréennes : de la préhistoire jusqu’à la fin de la guerre des 3 Royaumes (fin du 7ème siècle) ; du Royaume de Shilla jusqu’à la fin de la période Goryeo (fin du 14ème siècle) ; et la période Joseon jusqu’à l’annexion de la Corée par le Japon (fin 19ème~début 20ème siècle)

Concernant la première période, la Corée était divisée en Royaumes, eux-mêmes constitués de clans plus ou moins importants, en conflits avec la Chine parfois, avec les raiders mongoles souvent, avec les pirates nippons (Wakō, 倭寇), entre eux aussi évidemment… Ce fut donc une ère de développement martial, une ère foisonnante de batailles, de héros, de corps militaires célèbres (dont les Hwarang, 화랑, ) et d’écoles d’instruction des armes. En bien des points, cette période ressemblait à ce que fut le Japon féodal. Très ouverts (de manière volontaire et aussi un peu moins volontaire parfois), les différents royaumes avaient un haut degré d’acceptation des cultures voisines. Si l’on regarde les sabres de cette époque, leurs formes et leurs techniques de fabrication étaient purement et simplement les mêmes qu’en Chine. Prenons les arcs : ceux-ci étaient typiquement mongols. Les traces d’originalité sont alors rares.

La seconde période s’ouvre dès l’unification du pays en un unique royaume. Il s’opère alors une centralisation des pouvoirs et une administration calquée sur le confucianisme chinois. Il n’y a plus de fiefs mais des régions administrées par des gouverneurs. L’armée devient nationale et rattachée au Roi directement. C’est à cette époque que s’affermit la personnalité coréenne. Ce qui n’était pratiquement qu’acculturation pour les armes devient alors assimilation : toute nouveauté était recherchée, étudiée, intégrée mais finissait par être transformée « à la sauce coréenne ». Par exemple, les sabres prennent une forme qui se rapproche de celle qu’aura plus tard le Katana, à savoir une forme plus courbée, plus longue, avec une saisie à deux mains, s’éloignant des modèles chinois. L’évolution de la forge en Corée se fit aussi selon deux axes : des développements techniques internes à la péninsule (dont des fours typiques) et des développement externes en continuant à lorgner vers les pays voisins. Cependant, par le phénomène de centralisation, notamment de l’instruction militaire, il y a une certaine perte de la diversité des écoles martiales au sein de l’armée. Cette diversité essaimera cependant au sein de la société civile, chez les lettrés et chez les moines bouddhistes, entre autres.

Avec la mise en œuvre du néoconfucianisme, annonçant la prééminence du lettré sur le militaire, la période Joseon marque le dernier temps. Les lettrés considérant le métier des armes comme un trouble à l’ordre social et à la bonne morale, l’armée amorça son lent mais sûr déclin. Laissée à l’abandon, l’instruction militaire perd en qualité ; les forges, autrefois présentes dans les palais mêmes, se trouvent déplacées en ville et leurs techniques de métallurgie n’évoluent guère plus qu’à la marge ; la fermeture des frontières du pays ne permet plus autant d’échanges avec les pays voisins. Ainsi, au sein de l’armée, la variété des méthodes martiales et des types d’armes marqua le pas. C’est par contre dans la société civile que la diversité martiale continuera à s’exprimer et à progresser. Cependant, ce seront principalement des styles familiaux qui ne feront pas « école », disparaissant avec leur initiateur ou à la diffusion confidentielle, ne dépassant pas les limites de la famille (à l’exception notable des temples bouddhistes). Il n’y eut ainsi pas d’école traditionnelle « professionnelle » comme il a pu en exister au Japon.

D’un point de vue synthétique, bien que cela fut variable selon les périodes, nous pouvons encore faire une distinction des armes en 3 catégories sociales. Tout d’abord, évidemment, nous avons les armes issues de l’armée (voir le chapitre suivant) et de la Cours (Gungjung, 궁중宮中) où toute arme par nature était exclue. En conséquence, on y trouve en sus l’enseignement de techniques d’arrestation, de la ligature ou de l’éventail. Ensuite nous trouvons les armes liées aux temples bouddhistes (Bulgyo, 불교, 仏教) qui, du fait de leur attachement à la non-violence, portent leur attention sur des armes non létales (bâton, canne, parapluie). Mais, du fait que certains temples avaient reçu le titre de « Gardiens de la Nation » (suite à leurs actions durant les invasions japonaises), on y trouvait aussi l’enseignement de la lance, du sabre et de l’archerie, toutes armes pourtant létales. Enfin, existent aussi les armes de la société civile, ou dites « personnelles » (Sado, 사도, 自道). Ce sont des armes issues pour la plupart de la vie quotidienne (couteau, pierre de lancer, bâton) mais la présence de Nobles et d’anciens militaires en son sein fait qu’on trouve aussi des épées, sabres et lances, parfois de meilleure facture que celles de l’armée, et surtout bien plus variées dans leurs formes et plus évoluées dans leurs méthodes d’utilisation.

 

Un artéfact incontournable : le Muye dobo tongji

 

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Une illustration de quelques armes du Muye Dobo Tongji

 

On ne saurait parler des armes coréennes sans évoquer l’un des rares documents encore existant sur le sujet, à savoir le Muye Dobo Tongji (무예도보통지, 武藝 圖譜 通). Bien que publié en 1795, ce livre d’instruction militaire conclut une ligne de manuels commencés à la suite des deux tentatives d’invasion du Japon en 1592 et en 1597. En dehors de schémas techniques (équivalents de Kata), on peut noter que, pour contrer son ennemi, ce manuel propose aussi des informations sur les aspects politiques, les coutumes locales, la géographie et les techniques militaires du Japon de l’époque, faisant de ce manuel un petit bijou autant martial que culturel.

Techniquement, le manuel comprend des techniques à pied (18) et des techniques à cheval (6). Le premier tome contient les techniques de lance, à savoir la longue lance (長槍), la longue lance en bambou (竹長槍), la lance drapeau (旗槍), le trident (), la perche-loup () et la lance montée (騎槍). Le deuxième tome contient les techniques de sabre à 2 mains (雙手刀), d’épée courte à deux tranchants (銳刀) et de sabre japonais (倭劍). Quant au troisième tome, on y trouve les techniques de sabre d'amiral (提督劍), de sabre national (ou coréen, 本國劍), de double sabre (雙劍), de double-sabre à cheval (馬上 雙劍), de sabre-lune (ou hallebarde, 月刀), de sabre-lune à cheval (馬上月刀), la hallebarde courte (挾刀) et d'épée avec bouclier (藤牌). Enfin, le quatrième tome s’intéresse à la boxe (拳法), au bâton (棍棒), au bâton-fléau (鞭棍), au bâton-fléau à cheval (馬上 鞭棍) ainsi qu’à un jeu monté ressemblant au polo (擊毬) et des techniques d’habileté à cheval (馬上). Loin de n’être qu’un livre illustré théorique, il servit notamment de base d’instruction des Jangyongyeong (壯勇營), un corps d’élite de la fin du18ème siècle.

Ainsi, ce qui est intéressant dans ce manuel se trouve être la mise en lumière des différentes influences techniques, démontrant et l’ouverture des militaires coréens et l’intégration qu’ils en firent de manière concrète dans l’instruction de leurs troupes. Nous trouvons ainsi des techniques issues de Chine : épée de l’Amiral (en référence au généra LI Rusong), lance de bambou, la boxe (issue du Chuanfa, jap.= Kempô), … ; des techniques japonaises : le sabre japonais évidemment, le sabre à deux mains, … ; des techniques à cheval issues des tribus nomades mongoles : l’habileté à cheval (où l’on chevauche deux chevaux à la fois, se tenir debout sur un cheval, chevaucher sous le cheval, …), le tir à l’arc monté, … ; et évidemment des techniques coréennes comme le sabre national. Plus que la somme de plusieurs influences, ce livre montre le génie coréen pour se les être appropriées et pour les avoir transformées en un ensemble cohérent en profitant de chacune d’elles. Cela se constate notamment dans leur utilisation en synergie dans les tactiques de groupe, mêlant arcs, lances et sabres en première ligne par exemple. Enfin, il est intéressant de noter que, bien que s’appuyant sur des techniques étrangères, celles-ci étaient pratiquées avec des armes ayant des caractéristiques différentes : ainsi, par exemple, les lances chinoises et coréennes sont très différentes : longueur de la hampe, rigidité, poids, longueur de la pointe, … en font des armes à l’utilisation subtilement différente.

 

Un focus rapide sur le Hapgido

 

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Danbongsul, technique de bâton court

 

La racine du Hapkido réside dans les enseignements du Daitōryū transmis au professeur CHOE Yongsul au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ecole globale (sōgō bujutsu, 合武術), cette école japonaise propose, en sus du combat à mains nues, l’enseignement de nombreuses armes : escrime au sabre (kenjutsu, ) et dégainés rapides (battōjutsu, ), lance (yarijutsu, 槍術) et bâton (jōjutsu, 杖術), éventail (senjutsu, 扇術), lancers de lames (shūrikenjutsu, 手裏) et lancers de pierres (tsubutejutsu, 飛礫術), … Ces armes ont été plus ou moins enseignées à l’origine du Hapgido mais l’enseignement de personne à personne et la personnalité des élèves de la première heure, se détournant de trop de symbolique japonaise, ont morcelé le bagage technique rapporté par CHOE. Ainsi en est-il du sabre qui, bien qu’il ait été rapporté dans des témoignages d’élèves proches que CHOE aimait beaucoup le pratiquer, finit par s’évanouir du programme du Hapgido.

Le deuxième apport se fera dans les années soixante par le biais du professeur JI Hanjae qui adjoignit le Taekgyeon au Daitōryū. Se faisant, un premier métissage des armes eut lieu concernant les techniques de bâton, et principalement le bâton court (Danbongsul, 단봉술, 短棒術), de canne (Jipangi, 지팡이) et de couteau (단검술, 短劍術), lui-même déjà mixé avec les techniques que JI avait apprises dans le close combat des gardes du corps présidentiel.

Durant la même période, d’autres mouvements de fusion du Hapgido avec les techniques coréennes et chinoises d’arme eut lieu, entre autres issues du Muye Dobo Tongji ou d’écoles chinoises tel le Changquan (). Cependant, ils finirent par s’émanciper et devenir des entités indépendantes. A titre d’exemple, on peut nommer le Guksulwon, le Hwarangdo et le Hanmudo.

Depuis le programme commun mis en place en 1975, les armes retenues en Hapkido sont les bâtons court, moyen et long, la canne, le couteau, les lancers de lame, les lancers de pierres, la corde et le sabre (bien que ce dernier ne soit étudié que de manière très superficielle). Ceci est cependant la base et les différentes écoles de Hapgido ont pu en développer dans leur enseignement. Ainsi, on peut trouver ça et là du féau court (Ssangjeolgon, 쌍절곤), du Tonfa ou des armes modernes comme de la matraque télescopique. Les exemples d’armes enseignées hors programme sont nombreux. Mais ces armes n’étant pas enseignées dans toutes les écoles, elles restent à la discrétion du professeur et ne sont pas canon.

 

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Jungbongsul, technique de bâton moyen

 

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Une conclusion

 

Ainsi retrouvons-nous ce phénomène d’acculturation tout au long de l’Histoire de Corée. Bien qu’entourée de pays à l’identité culturelle très forte, cette dernière a réussi pourtant à conserver son identité, son indépendance politique mais aussi ses spécificités culturelles. Ce phénomène se retrouve encore dans la Corée moderne. Ainsi, si on prend un exemple récent, les écoles martiales nées après la Seconde Guerre Mondiale clairement influencées par les Budō japonais (Taegwondo, …) sont pourtant dotées aujourd’hui d’une identité, d’une « personnalité » qui les distinguent objectivement de leurs ascendants nippons ; on pourrait multiplier les exemples à l’infini dans tous les domaines (technologie, éducation, culture, …) et pour toutes les sources.

Le Hapgido n’échappe pas à ce phénomène. Bien qu’issu du Daitōryū, et même en faisant abstraction des apports ultérieurs dans le temps, on serait bien en peine de ne pas lui reconnaitre une personnalité tout à fait distincte de son école mère. Ainsi est donc la personnalité coréenne : elle est ouverte à la connaissance et à la culture des autres pays par nature mais, s’attachant plus aux principes qu’à la copie conforme, elle les absorbe sans pour autant y perdre son âme.

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