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De la propriété culturelle

David CONSTANT Par Le 03/01/2011 0

Dans Munhwa log

Voici une réflexion sur le droit de propriété culturelle que je me suis faite suite à la lecture de cet excellent article. Son introduction permet de comprendre le contexte :

"En marge du sommet du G20 qui s’est tenu le 12 novembre à Séoul, Nicolas Sarkozy a annoncé le retour en Corée de 296 manuscrits coréens conservés par la Bibliothèque nationale de France. C’est la fin d’un long contentieux qui a commencé à la fin des années 70 quand une historienne coréenne a découvert dans le fonds de la BNF ces manuscrits que les Coréens croyaient disparus depuis l’expédition punitive menée par le contre-amiral Roze en 1866."

S'ensuit une polémique de la BNF, celle-ci souhaitant conserver ces documents dans son fond. Cette demande est-elle légitime ?

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Car, quand on y réfléchit, le droit de propriété ne va pas de soi.

Quand on parle de propriété, on pense tout de suite aux moyens d'acquisition légaux. Le plus courant est encore l'acquisition commerciale : un acheteur ou un mécène achète des oeuvres à un artiste. Ceci concerne principalement des personnes privées, mais aussi parfois des personnes morales tels des musées ou des sociétés commerciales. Pour les oeuvres non vendues, elles passent généralement dans l'héritage des descendants des artistes. Au niveau national, on trouve des oeuvres données comme cadeaux diplomatiques ou en paiement d'un protectorat. Ce qui justifie la propriété est alors un document : un contrat, une facture, un testament, une liste diplomatique, ... La question de la propriété ne se pose pas.

Elle se pose en revanche pour les moyens d'acquisition illégaux, comme dans le cas qui nous intéresse en introduction. Au niveau individuel, des lois existent contre le vol ou l'escroquerie. Mais quid lorsqu'il y a prescription dudit crime ? Au niveau national, les choses se compliquent encore : prises de guerre, compensations, ... La plupart des pays ne désirant pas rendre des oeuvres illégalement acquises ont l'appui très commode des règles de l'ONU qui applique une prescription pour tous les "crimes nationaux" commis avant 1970.

Mais même illégalement acquises, toutes les oeuvres n'ont pas la même importance. Certains ont un faible intérêt, que ce soit au niveau artistique ou au niveau historique. Mais d'autres ont un intérêt national : des portraits royaux, des scènes de vie apportant une lumière sur un style pictural ou sur des scènes de vie, des pièces fondamentales pour la construction de l'identité culturelle nationale, ... Mais un pays peut-il être dépossédé de ses oeuvres culturelles maîtresses ? D'aucuns diront que oui, à partir du moment où ces oeuvres dépassent le cadre national pour faire partie du patrimoine mondial. Ainsi, leur droit de propriété dépassant le cadre d'un simple pays, n'importe quel lieu dans le monde est-il convenable pour les conserver. C'est un point de vue qui ne me sied pas car ça me semble être surtout une excuse pour ne pas avoir à les rendre à leur pays d'origine. En outre, la mondialisation accélérée que nous connaissons doit-elle passer par la négation de la diversité des cultures nationales ?

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Ainsi, parler de propriété n'est pas simple. Entre détermination de l'origine, du moyen d'acquisition et du Droit international, les débats peuvent se révéler longs avant qu'une décision de restitution soit prise. On pourrait toutefois se demander où, entre ces différentes considérations, se situent la moralité et le sens de l'honneur...

Car, concernant ces 296 documents confisqués à la Corée, on se demande bien pour quelles raisons la France voudrait les conserver à la BNF. Intérêt historique ? Intérêt artistique ? Ou bien un sursaut d'orgueil dù à la recherche du prestige : le fameux "rayonnement de la France" ? Il semble que la Corée ait un intérêt, voire même un besoin, plus vital que la France à avoir ses documents sur son territoire.

Pour que vous puissiez vous faire une idée de ce dont il s'agit, voici un exemple visible à la BNF : un fac-similé du Bokhun Deogam Uigwe (복훈더감의궤, 復勳都監儀軌).

Pour ceux qui ont du temps, un petit jeu : dans les cas que nous avons présenté, nous avons parlé de biens culturels tangibles. Mais dans le cas de biens culturels intagibles ? Notamment les écoles d'arts martiaux, quel droit de propriété ailleurs que dans le pays d'origine ? Je pense notamment au Taegwondo, issu principalement des arts martiaux japonais, développé en Corée, devenu mondial lors de sa transformation en tant que sport olympique. Je pense aussi à l'indépendance de fédérations délégataires nationales vis-à-vis des fédérations des pays d'origine et se développant techniquement hors de tout courant mondial ? A méditer.

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