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Ce qui est intéressant, c'est qu'au premier abord, on pourrait se dire que ce respect dû aux anciens (et surtout dû aux anciens décédés) est une conséquence des religions. Or, c'est bien plutôt une valeur liée au Confucianisme qui est, dans sa forme originale, avant tout une philosophie sociale et politique proposant à l'ensemble de la population des devoirs (Ye, 예,禮), en fonction de son rang, dans le but d'obtenir une société parfaitement harmonieuse et paisible. Or, pour obtenir cette société "parfaite", il convient que chaque unité la composant soit "parfaite". On pourrait alors penser, avec notre vue occidentale, que l'unité de base de toute société est la personne, l'individu. Et il est vrai que, d'après le Confucianisme, l'individu doit se polir, s'éduquer, se cultiver et se moraliser. Mais en réalité, ce qui est considéré comme la base ici, c'est la famille.
Aussi, à l'instar d'un royaume, est-il nécessaire de définir l'ordre à suivre dans la famille. Chacun se doit de connaître sa place hiérarchique, l'égalité qui est chère dans notre société française n'existant pas dans le cadre confucéen. Le rang de tout un chacun se définit par ce que l'on appelle les Cinq Relations (Oryun, 오륜, 五倫) : relation entre le suzerain et son sujet, relation entre le père et son fils, relation entre l'époux et son épouse, la relation entre le frère aîné et son frère cadet et la relation entre amis.
Ce qui nous intéresse ici est la relation entre parent et enfant (Hyo, 효, 孝). En Corée, l'autorité des parents est absolue dans la cellule familiale. Car, dotés de leur expérience plus longue, ils sont à même de prendre les décisions les plus judicieuses. Il est alors inconcevable et scandaleux qu'un enfant désobéisse, se rebelle car son incompétence, liée à se jeunesse ("jeunesse" qui peut durer longtemps, aussi longtemps que leur parent est vivant), ne lui permet pas d'avoir la vision d'ensemble nécessaire au choix pertinent. Il est intéressant pour un Français, habitué à une certaine liberté de parole et de choix vis-à-vis de ses parents (et ce même à un âge très bas dans certaines familles), de voir un enfant coréen (et même des adultes bien mûrs) sagement obéir à une injonction parentale, sans aucune plainte, sans aucune hésitation et parler avec une grande déférence à ses parents .
Mais plus loin, il ne s'agit pas seulement du respect aux parents directs : cette piété filiale s'applique aux grands-parents, arrières grands-parents et ainsi de suite. On objectera que certains de cette longue liste doivent avoir quitté notre monde, partis de leur belle mort. C'est que la piété filiale ne s'applique pas qu'aux parents vivants : le respect dû aux ancêtres décédés est une obligation au minimum annuelle, lors de cérémonies tenues aux dates anniversaires de la mort (Jesa, 제사, 第死) de ceux apparaissant dans des tablettes recensant la généalogie de la famille. C'est ce qu'on appelle le Respect aux Ancêtres (Josang Sungbae, 조상 숭배, 祖上崇拜).
Enfin, toujours un peu plus loin, tout individu se doit généralement de respecter toute personne plus âgée que lui dans l'ensemble de la Société, même si ce respect dû l'est à un degré moindre, la primauté à sa famille d'abord étant obligée.
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Bien sûr, dans la société coréenne actuelle en mutation rapide vers des valeurs plus occidentales, ce qui précède est à relativiser. Il est des cas de désobéissance ou de manque de respect vis-à-vis des parents ou des personnes âgées en Corée aussi, comme ailleurs. Mais il est intéressant de constater que cela scandalise toujours, voire même que cela fasse la manchette des journaux. Dans une société formatée, ces cas sont toujours perçus comme anormaux et sont présentés comme contre-exemples édificateurs pour l'éducations des jeunes.
D'aucun pourrait critiquer cette obéissance absolue envers les plus âgés, ces derniers pouvant être de vieux tyrans ou de potentiels gâteux. En tant que Français, on penserait qu'une rebellion peut alors être salutaire. Mais ceci est pratiquement inconcevable en Corée et ne se voit que très rarement. On pourrait aussi objecter qu'en France aussi, le respect dû aux parents et aux anciens existe, à des degrés divers il est vrai. Mais, à la lecture de ce qui précède, le lecteur pourra comprendre la différence de degré et la quasi-généralisation de son application en Corée. Car, ce qui fait la différence entre les respect "français" et "coréen", c'est qu'en France, notre respect s'accompagne souvent de nos sens de la critique et de la remise en cause, dont nous sommes si fiers (et à juste titre, à mon avis, tant qu'on en fait un usage rationnel).
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Ainsi pourra-t-on comprendre la "crainte" des Coréens lorsqu'ils viennent en France ou lorsqu'ils accueillent un Français en Corée. Par exemple (pris totalement au hasard, bien sûr, mais vécu), pour un Coréen d'âge moyen venant pour la première fois en France pour enseigner un Muye, il pourra être surpris, voire exaspéré, des questionnements permanents de ses élèves français, tout habitué qu'il est de voir ses élèves en Corée appliquer habituellement ses directives sans question. S'il est sain de s'interroger sur la validité de ce qu'on nous enseigne, la remise en cause de la parole du professeur est malvenue car, tout comme le Confucianisme le préconise, l'ancienneté du professeur (et donc son savoir-faire supposément plus avancés que ses élèves) garantie la validité de son enseignement. Un enseignement qu'il a en outre lui-même reçu de son propre professeur, qui l'a reçu de son professeur, et ainsi de suite. Se voir remis en cause par plus "jeune" que lui pourra être ressenti commeun quasi-affront.
Mon conseil pour satisfaire les deux points de vue serait le suivant : en tant qu'élève français, voyez votre professeur comme un père de substitution, juste le temps de son enseignement. Avec ceci en tête, vous pourrez alors poser toutes les questions que vous souhaiterez car, ce faisant, votre professeur coréen, rassuré par votre attitude en conformité avec sa propre éducation, sera dans les meilleurs dispositions pour y répondre. Un professeur coréen, confiant dans ses élèves, est toujours (d'après mon expérience personnelle) d'une grande générosité.
On pourra critiquer cet aspect paternaliste de la culture coréenne et mal s'en accommoder, je le comprends. Mais elle me paraît pourtant être un point essentiel quand on souhaite établir une relation avec des Coréens plus âgés, qui soit plus profonde qu'un simple contact courtois. Ce petit effort d'application de cette facette de la culture confucianiste sous-jacente à la culture coréenne contemporaine est généralement suivie de retours très bénéfiques. Garanti sur facture !