Hapgi, ou l'Aiki vu de Corée

David CONSTANT Par Le 10/06/2014 0

Dans Muye log

(article originalement paru dans le magazine Dragon Hors Série Aikidô d'avril 2014. Il a été légèrement modifié, notamment par l'utilisation exclusive de termes coréens)

 

David Constant Hapgido

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, les échanges entre Corée et Japon furent nombreux et le Hapgido en est l’un de ses multiples avatars. En tant que descendant du Daitôryû, cette école de combat en partage les principes et les concepts. Ainsi, bien que très différents vus de l’extérieurs, Daitôryû, Aikidô, Hakkôryû et Hapgido, entre autres écoles parmi les plus connues, ont en commun un principe bien particulier : le Hapgi (합기, 合気).

Celui-ci étant plutôt complexe à définir, car protéiforme, chacun  en a son interprétation selon le point de vue à partir duquel il l’aborde, exactement comme dans la métaphore de l’éléphant et des cinq aveugles. Evidemment, les maitres coréens de Hapgido en ont une version sensiblement différente de celle des maîtres japonais. Mais je reste persuadé qu’il s’agit pourtant du même objet et que, différences s’il y a, ne sont qu’à la marge, l’essence du principe restant préservée.

Je vais donc vous présenter une synthèse de mes multiples lectures coréennes. Je ne ferai pas de parallèle avec ce que j’ai pu lire dans des livres japonais traitant d’Aiki afin de garder le message des maîtres coréens aussi intact que possible. Je laisse à tout un chacun le soin de faire une étude comparée si le cœur lui en dit (1).

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Le Gi, c’est quoi ?

Étudier le Hapgi commence avec une énigme de taille, à savoir définir bien ce qu’est le Gi (기, 気). Car nous pouvons trouver des variations très sensiblement différentes selon les points de vue : ainsi en est-il du Gi martial qui est le centre de notre intérêt commun, mais parlons-nous toujours de la même chose lorsque nous en parlons du point de vue MTO (médecine traditionnelle orientale), taoiste, confucianiste, bouddhiste ou du Gi vulgarisé tel que se le représentent les habitants de Seoul dans leur langage contemporain ? La réponse, malheureusement pour nous, est non. Un essai de définition du Gi s’impose donc.

Dans la cosmogonie taoiste, le Gi a été créé lors de la différenciation du Do (도, 道. chin.= Tao), le Grand Tout, en principes négatif Eum (음, 陰) et positif Yang (양, 陽). Il est, en même temps, l’énergie qui permet le passage de l’un à l’autre de ces états extrêmes et l’énergie produite lors de ce même mouvement, agissant ainsi de manière très concrète sur la transformation de la matière (Ri, 리, 理). Ri et Gi sont indissociables dans ce processus de la Vie telle que nous la connaissons. Ainsi, le mouvement des planètes a-t-il été rendu possible par une émission massive d’énergie et ces planètes en mouvement génèrent elles-mêmes une quantité d’énergie immense. A l’inverse, sans Gi, il n’y a plus de mouvement, plus de transformation, il reste une matière inerte, immobile, morte.

Au niveau des individus, le Taoïsme pose que le corps humain est une représentation microcosmique de l’Univers et qu’il lui est donc semblable en tous points, bien qu’à une échelle bien plus réduite. La respiration est ce qui constitue le pont entre le macrocosme (tout ce qui est extérieur à l’individu) et le microcosme (tout ce qui me constitue en tant qu’individu, mon « interne »). Pour cerner encore un peu plus la nature du Ki, il est précisé dans différents traités médicaux, entre autres dans le Dongui Bogam (동의보감, 東疑 寶鑑) (2), que le Gi est un phénomène qui se manifeste au niveau physique, entre le corps physique (Shin, 신, ) et l’Esprit (Shin, 신, ).

Une des difficultés pour qui aborde l’étude du Gi est qu’à l’instar de ce qui se passe dans le macrocosme, il a les deux mêmes lectures, différentes, indissociables et complémentaires au niveau humain : 1/ le Gi en tant qu’énergie motrice du corps et de ses organes, de sa création de chaleur (par le biais du triple foyer) et de ses défenses immunitaires, qui est issu principalement de la nourriture et de la respiration. La MTO s’intéresse en particulier à ce point de vue d’énergie « en entrée », proposant des réponses aux problématiques d’absorption, de raffinement, de conservation, de distribution, ... 2/ le Gi en tant qu’énergie créée par le mouvement ou en tant qu’émission de chaleur. Pour cette énergie « en sortie », ce sont les Maitres du Mudo (pour ce qui nous intéresse) qui développèrent les moyens de sortir une énergie maximum avec un minimum d’effort, tout en cherchant à se prémunir du Gi adverse.

Même en français, la confusion à propos du mot « énergie » existe dans des expressions comme « j’ai besoin d’énergie » et  « l’énergie cinétique produite par un corps en mouvement », par exemple. Il convient juste de retenir que le  Gi (énergie) peut être vu aussi bien comme la cause que comme la conséquence de tous mes mouvements, aussi bien volontaires qu’inconscients.

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1 Hapgi, 3 niveaux de lecture

Une fois ces bases sur le Gi posées, le principe de Hapgi présente lui aussi autant d’interprétations selon le point de vue dans lequel nous nous situons en tant qu’observateur. Nous l’aborderons sous trois aspects qui nous semblent pertinents dans le cadre des Mudo (3). A savoir, le Hapgi du point de vue interne, le Hapgi du point de vue interpersonnel, le Hapgi du point de vue environnemental.

Peut-être serait-il utile de rappeler à ce stade que le Hapgi (합기, 合気) est un état où l’on est connecté en soi, connecté à l’adversaire, connecté au monde qui nous entoure. Par contre, le Gihap (기합, 気合) est l’action de se connecter en soi, de se connecter à l’adversaire, de se connecter à son environnement. Et qu’en conséquence, nous sommes en tant que pratiquants plus souvent dans le Gihap que dans le Hapgi puisque, dans un combat, nous sommes dans l’adaptation permanente, et donc les phases où l’on est réellement Hapgi sont plus ponctuelles.

1- Le Hapgi interne

Notre corps est donc fait de matières diverses (os, muscles, organes, …) et il est parcouru de Gi qui lui permet de se mouvoir, et donc d’être vivant. Mais parler de Gi soulève déjà un malentendu car il faudrait parler des Gi, différents en nature et en distribution, qui nous composent.

Ainsi, en terme de nature, il convient de distinguer le Gi qui nous est transmis par nos parents à la naissance (Gi ancestral, stocké dans les Reins), le Gi provenant de la respiration (Poumons) et le Gi provenant de notre alimentation (Estomac). Mais, au niveau martial, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la distribution du Gi.

Car le Gi n’est pas uniformément réparti dans l’ensemble de notre corps. Sa présence dans les organes et dans les muscles est fonction 1/ du moment de la journée : on parle de cycle nycthéméral, où selon l’heure, un organe sera en plein ou en vide de Gi. 2/ de la qualité des méridiens : les méridiens sont les voies qu’emprunte le Gi pour alimenter les organes et les muscles, tout à fait comparable au système circulatoire. Si ceux-ci sont tendus ou « obstrués » (à l’instar d’un coude dans un tuyau d’arrosage qui empêche l’eau de passer), le Gi s’écoule mal et organes et muscles se retrouvent soit en trop plein, soit en trop vide d’énergie. 3/ de mon intention : le Gi suit la pensée. Si je décide de courir, il se concentrera dans mes jambes et sera moins présent dans mes mains, par exemple. Mon corps, loin d’être uni, est donc la somme de tous ses membres, de tous ses muscles, de tous ses organes, de toutes ses énergies.

Dans la MTO, on parle alors de travail de raffinement du Gi (Gigong, 기공, 気功) pour rester en bonne santé et vivre longtemps, via des exercices de respiration, des exercices posturaux visant l’ouverture des méridiens profonds, des exercices sur l’intention et sur l’écoute de son corps, de la diététique, etc.

Pour l’aspect martial, on parle de Hapgibeop (합기법, 合気法). Lorsque survient une menace, on cherche à unir les différentes composantes de son corps et à y répartir équitablement le Gi des doigts de pieds jusqu’au sommet du crâne, autrement dit : le structurer. Il s’agit alors de retirer de la tension dans les membres en trop plein (la cage thoracique et les épaules par exemple) et d’en rajouter là où il y a un manque (la vessie et l’anus ont tendance, sous l’effet de la peur, à se relâcher). Le maitre mot est équilibration (4). Cela se traduit principalement par un redressement de la colonne vertébrale ; par une extension sans raideur des bras et des jambes (« en forme de sabre ») et une activation des pieds, des mains et du bas ventre (Hadan Danjeon, 하단단전, 下段丹田) ; par une légère mise en tension des articulations ; par un relâchement des jambes pour mettre du poids (Mom muge, 몸무게) dans ma posture et par un affermissement des pieds au sol (« prendre racine ») ; par une régularisation de la respiration ; par une circulation consciente du Gi dans l’ensemble de mon corps ; par une vision qui s’élargit et qui s’horizontalise (« regarder la montagne ») ; par une intention à 360° (Jangshim, 장심, 残心) et par un cœur fluide (Yushim, 유심, 流心).

Le corps forme alors une unité, comme un bloc équilibré et mobile dans un but aussi bien défensif (équilibre en toutes circonstances, membres impliables, redirection des forces extérieures vers le sol, …) qu’offensif en permettant une puissante et profonde émission de Gi (Balgyeong, 발경, 発勁, autrement appelé force issue de la respiration, Hoheupryeok, 호흡력, 呼吸力), mais aussi les émissions de voix (Balseong, 발성,発声), entre autres possibilités de sortie de Gi.

2- Le Hapgi au niveau interpersonnel

Lors d’une confrontation, nous avons affaire à un (des) individu(s) formé(s) eux aussi de Gi. Tout comme j’ai précédemment uni les différents Gi de mon corps, je vais m’unir aux différents Gi de mon adversaire. On nomme aussi cette action de fusionner nos deux Gi « devenir un seul corps » (Ilchehwa, 일체화, 一体化).

Pour réaliser cela, il convient de comprendre que chaque geste, chaque respiration, chaque attaque va créer des variations de Gi au sein de son corps, ainsi que des déséquilibres dont nous pourrons profiter. Bloquant son Gi lorsqu’il n’est pas encore développé ou ajoutant mon Gi au sien lorsqu’il arrive en bout de course, je réalise une harmonie (Hwa, 화, ) dont je suis le moyeu central, conduisant l’adversaire là où je veux qu’il aille.

Avant que le contact ne s’établisse, la maitrise de la distance, du positionnement, des angles ou, en un mot, la gestion de l’espace qui m’unit à l’adversaire (Ganhap, 간합, 間合) me permet dans un premier temps de me mettre en sécurité et, dans un second temps, de me placer face à ses points faibles (faibles en Gi précisément). En effet, l’art de l’esquive est le premier signe d’une bonne maitrise du Hapgi.

Je peux alors choisir d’ignorer l’attaque et placer des frappes, ce qui est le choix des différentes boxes (Gwonbeop, 권법,拳法). Je peux aussi choisir de le saisir pour casser son attaque, la dévier ou la prolonger jusqu’à son terme (Him Giuligi, 힘 기울이기), ce qui est la tendance naturelle des luttes (Yusul, 유술, 柔術). Dans les deux cas, le principe est de bloquer le Gi de l’adversaire afin qu’il n’ait pas l’occasion de placer une seconde attaque. Pour se faire, je vais user du déséquilibre (Him giuligi, 힘 기울이기), coupant l’adversaire d’une des sources de sa puissance : le sol (le Gi de la terre). Le Him Giuligi a aussi l’immense avantage de bloquer le Gi dans le corps de l’adversaire, celui-ci étant monopolisé par l’effort pour ne pas tomber. Le corps ainsi tendu rigide interdit toute contre-attaque pour l’adversaire, complétant encore ma mise en sécurité.

Quelle que soit la technique que je choisirai d’utiliser par la suite, une frappe, une clé articulaire, une projection, cela n’a que peu d’importance : l’adversaire est déjà vaincu.

Un autre aspect important du Hapgi avec une tierce personne, complémentaire de la gestion de l’espace Ganhap, c’est la gestion du temps : à savoir choisir quand je dois agir pour avoir une efficacité maximum. Les trois phases d’initiative du point de vue du Gi sont les suivantes :

  • Seonseon ui Seon (선선의선, 先先之先) : l’idée de l’attaque s’est formée dans l’esprit de l’attaquant mais son Gi n’a pas encore été mis en branle (« vide de Gi »). Cette initiative est alors équivalente à attaque préemptive.

  • Seon ui seon (선의선, 先之先) : l’attaque a débuté mais le Gi de l’adversaire est encore faible, le mouvement d’attaque est à peine entamé. En empêchant son Gi de se développer, je peux facilement déborder l’agresseur.

  • Hu ui seon (후의선, 後之先) : l’attaque de l’adversaire est parvenue à son terme et j’agis au moment où l’attaque se termine, autrement dit au moment où le Gi de l’attaque passe de très fort à très faible.

 Il n’y a pas de Jung ui seon, c’est-à-dire qu’on n’applique pas de technique de contre quand un adversaire est en plein de Gi, ou autrement dit avec ses membres attaquant à pleine vitesse, avec tout son poids et en déplacement. Cela m’obligerait à déployer un effort excessif pour bloquer son attaque.

De l’amont de l’agression jusqu’à sa conclusion, le Hapgi se décline à un niveau plus subtil en lecture du Gi de l’adversaire. Cette lecture n’est évidemment pas limitée au sens de la vue et, en particulier, lors de saisies, c’est la kinesthésie qui est très sollicitée. Puisque l’on est sur la « même longueur d’onde », le Hapgi agit alors comme révélateur de ses intentions par le biais de micromouvements que l’on peut interpréter (notamment via des termes comme Salgi, 살기, 殺気, où l’on ressent l’intention de l’adversaire de vous tuer). Comprendre l’intention derrière le Ki permet au pratiquant d’avoir un temps d’avance et d’y donner la réponse la mieux adaptée. Car on n’utilise pas la même technique face à quelqu’un que l’on souhaite appréhender que face à quelqu’un qui veut nous tuer. De la même manière, nous pouvons aussi lui cacher ou lui communiquer, de manière quasi subliminale, notre propre intention. On peut ainsi montrer notre assurance, notre envie de ne pas lui faire de mal ou encore le menacer. Pour cette dernière, cette menace n’est pas formulée de manière verbale mais, dès que le Gi adverse se met en branle, je lui montre que j’ai capté son intention et que je peux le contrer, ce qui annihile son attaque avant même qu’elle n’ait commencée.

Nous pouvons résumer le Hapgi interpersonnel par des expressions comme « être en phase », « être dans le temps », « être dans la distance », « être sur la même longueur d’onde », « être dans le mouvement », l’emphase étant sur le verbe être.

3- Être Hapgi avec son environnement

Tout autant que soi et les personnes avec qui j’interagis, le monde qui m’entoure est énergie : la terre qui change, les plantes qui poussent, le vent qui souffle, les saisons qui changent, … Même dans un endroit hors de toute présence humaine, la vie bat son plein. Nous ne vivons pas dans un espace vide, nous vivons au sein d’un écosystème auquel il convient de prêter attention.

Être Hapgi rejoint ici l’idéal taoiste d’union à la Nature, et plus loin au Do, autrement dit à l’univers. Ainsi convient-il de connaître et de se conformer aux Lois de la Nature : les cinq éléments de la terre et leurs transformations (Ohaeng, 오행, 五行 ), les 6 qualités du Ciel (Yukgi, 육기, ), ... En ouvrant ses sens aux mouvements naturels, on s’y adapte et on traverse le monde et la vie sans maladie, ni accident. L’Homme a ceci de différent de l’animal, c’est le choix qui lui est donné de suivre les Lois naturelles ou de s’en affranchir. Mais si on veut être Hapgi, il s’agit de profiter de l’énergie offerte par son environnement en allant dans son sens, pas d’aller à l’encontre de celle-ci.

Pour revenir à la thématique martiale, concernant la génération de force, on parle aussi de Gi de la Terre quand on est dans un déplacement vertical vers le haut, autrement dit quand les jambes utilisent l’appui sur le sol pour aller rapidement du bas vers le haut ; et de Gi du Ciel quand, retirant toute force de mes jambes, j’ôte mes propres appuis pour aller du haut vers le bas en profitant la seule gravité.

Enfin, quand nous combattons un agresseur hors du Dojang, l’environnement compte pour beaucoup : la topographie, les obstacles au sol, la météo, la luminosité (« avoir le Soleil dans le dos » par exemple), les armes potentielles, les cachettes et les couvertures, les voies de fuite, … Il devient un allié puissant si on est Hapgi avec lui, un danger si l’on n’en tient pas compte.

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 L’apprentissage du Hapgi 

Les trois phases d’apprentissage du Daitô reflètent une progression liée à l’acquisition du Hapgi et de ses phases d’initiative.

  • Yusul (유술, 柔術) est la phase où l’on enseigne comment générer de la perturbation dans le Gi de l’adversaire à l’aide de frappes, de pressions douloureuses ou de déséquilibres. Les Him Giuligi sont actifs (générés par mes propres actions) et l’initiative est en Hu ui Seon.

  • Hapgi Yusul (합기유술, 合気柔術) est une période de l’apprentissage où l’on commence à profiter d’ouvertures de l’adversaire tout en restant encore proactif.  L’initiative est en Seon ui Seon.

  • Hapgisul (합기술, 合気術) est le stade où l’on a plus besoin d’agir directement sur le Gi de l’adversaire car on est apte à déceler les perturbations de Gi générées par la seule action de l’adversaire et à les accompagner, les exagérer. Ainsi, on peut dire que c’est un Him Giuligi initié par l’adversaire, souvent inconsciemment et au travers de mouvements involontaires et des déséquilibres subtils. L’initiative est en Seonseon ui Seon.

L’entraînement au Hapgi peut se décliner en exercices en solitaires (Danryeon, 단련, 鍛錬) concernant le développement du Hapgi interne. Mais pour la partie Hapgi interpersonnel, autrement dit celle de combat, un partenaire est obligatoire. Aussi dans les écoles Hapgi n’existe-t-il d’ordinaire pas de forme en solitaire comme dans les Wushu chinois ou dans les Karaté okinawaiens, éventuellement des formes à deux car on a besoin du partenaire comme étalonneur de ma maitrise technique et de ma progression dans l’appréhension du principe de Hapgi.

Selon la phase d’apprentissage décrite plus haut, le partenaire joue un rôle différent. Au début, celui-ci est plutôt coopératif, de manière à ce que le défenseur apprenne les schémas techniques en se concentrant sur ses propres actions. Dans la phase Hapgi Yusul, le défenseur n’a plus à se focaliser sur la technique en tant que telle mais sur les réactions qu’elles entrainent sur l'attaquant. Il peut commencer à jouer avec les différents effets pour obtenir des résultats qui sortent des formes conventionnelles. Il y a une forme d’expression personnelle qui commence à se faire jour. L'attaquant, quant à lui, apporte maintenant plus de sincérité à ses attaques et peut même tenter de bloquer le défenseur.

Le stade suivant, Hapgisul, amène le défenseur à dépasser les principes techniques pour s’intéresser aux failles de Gi de l'attaquant. La technique importe alors moins que le placement, le timing, l’anticipation. L'attaquant se doit alors à être complètement sincère dans ses attaques, les phases d’entraide étant dépassées. Il peut aussi mettre de la résistance si le défenseur met trop de tension dans son action et enchainer sur d’autres techniques (notamment des contre-clés) si le défenseur lui en laisse l’occasion. Il peut aussi devenir moins prévisible, plus retors, en sortant du cadre des attaques convenues afin que le défenseur ne se sclérose pas dans des schémas classiques.

Le partenaire agit comme un révélateur de mon niveau de maitrise corporelle, technique, énergétique, tactique et mental. Sans un bon attaquant, il ne peut y avoir de bonne progression et, en ce sens, mon niveau de maitrise est autant dû à mon implication dans l’apprentissage (efforts, temps) qu’à sa simple présence.

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Quelques questions-réponses sur le Hapgi 

Qu’est-ce-qui distingue finalement le Hapgisul d’un Yusul ?

Il est difficile de répondre à cette question tant les écoles de Yusul sont nombreuses et différentes. Pour autant, peu nombreuses étaient les écoles de Yusul réellement évoluées, elles étaient beaucoup plus proche du close-combat militaire actuel : simple d’apprentissage, rustique, à la marge du travail des armes. De la même manière, dans la classification qu’en fait le Daitôryû, le Yusul apparaît invasif, contraignant, douloureux, cassant. Le Hapgisul, avec les mêmes techniques, contrôle au contraire de manière plus subtile, sans à coup, sous le seuil de perception de l’adversaire (qui se demande souvent ce qui lui arrive). Pour utiliser une image culinaire, le Yusul est plutôt pimenté quand le Hapgisul est plutôt d’un goût très subtil, à la limite de l’absence de saveur. Cependant, il existe aussi des écoles de Yusul de qualité où la différence avec le Hapgisul n’est plus aussi évidente.

Y a-t-il un catalogue spécifique Hapgi ?

Oui et non. Historiquement, toutes les écoles Hapgi (Aikidô, Hakkôryû, Hapgido, …) descendent du Daitôryû  et ont donc plus ou moins repris son catalogue technique. Cependant, ces écoles présentent des différences techniques importantes, en enlevant ceci ou en rajoutant cela, voire même au sein de techniques paraissant identiques mais différentes au niveau de détails importants. Les modes d’expression du Hapgi sont infinis. Une école de pure boxe, tel le Taichichuan par exemple, pourrait être Hapgi pour peu qu’elle suive les critères définis plus haut. Ce n’est donc pas le catalogue technique qui permet de définir ce qu’est le Hapgi.

Rencontre-t-on le Hapgi hors du contexte martial ?

De nombreuses activités nécessitent d’être en phase avec une autre personne. Ainsi en est-il de différents sports d’opposition évidemment mais aussi dans des activités en « coopération », comme le Shiatsu (massage japonais, cor.= Jihap, 지합, 指圧) par exemple, ou encore danser en couple ou faire l’amour. Le Hapgi ne sert donc pas qu’à se battre.

Y a-t-il alors des personnes utilisant le Hapgi sans le savoir, à l’instar de Monsieur Jourdain et de la prose ?

La réponse est oui : il suffit de voir évoluer des personnes comme Mohamed Ali, ou Zinedine Zidane pour s’en rendre compte. On connait aussi des masseurs autodidactes ou des danseurs nés, … Ces génies ont une science innée du mouvement et enchainent les gestes techniques improbables, toujours dans le temps, toujours appropriés, avec une présence forte. Le Hapgi n’est certes pas à la portée de la majorité d’entre nous de manière naturelle mais il peut être travaillé, travail qui présente l’avantage d’être structuré et de toucher l’ensemble des aspects du concept.

 

(Un grand merci à Christophe Molinari pour les très belles photos et à François Valmont)

 

Notes :

  1. J’ai fait cette étude comparée moi-même et il est intéressant de voir comment ce simple concept « concret » met pourtant en lumière des spécificités culturelles décelables dans les différentes manières qu’en ont les Coréens et les Japonais de l’interpréter.

  2. Le Dongui Bogam est une encyclopédie de médecine coréenne, compilation la plus complète des connaissances médicales de son temps, rédigée au cours du XVIème siècle. On en trouve aussi des traductions en Chine et au Japon. Il est entré récemment dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

  3. Mudo est à prendre ici dans son sens le plus extensif.

  4. Dans les divers ouvrages en français, on utilise à l’envi le terme d’harmonisation. Mais celui-ci me semble tellement galvaudé actuellement que je lui préfère ici équilibration

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